Banlieues : Un peu d’histoire… ?
L’évocation du terme « banlieue » appelle aujourd’hui de façon quasi systématique un débat polémique. Qu’en était-il quand la banlieue s’est développée sous sa forme actuelle au lendemain de la guerre ? On constate en tout cas qu’en 1991, à l’Assemblée nationale, le débat sur une « crise » des banlieues fait rage, divisant l’hémicycle entre droite et gauche ; entre prévention et sécuritaire. Déjà !
Où se situe alors le problème des banlieues ? Depuis quand l’amalgame entre « banlieues » et « problème », ou même encore entre « banlieues » et « crise », s’est banalisé ?
Dans l’espace de l’imaginaire social, on exclut inconsciemment le cas des banlieues aisées bien qu’elles soient aussi localisées en périphérie des villes.
La stigmatisation problématique se limite aux banlieues populaires et tout le travail de « réparation », toutes les politiques sociales depuis ces trente dernières années se sont focalisées sur ces espaces de relégation que constituent les banlieues dites difficiles.
Définir la banlieue n’est plus aussi simple, qu’auparavant. Elle désignait autrefois la partie d’une agglomération urbaine extérieure aux limites administratives de la « ville-centre ».
Ainsi dès le début, la « banlieue » (le « lieu du ban ») est un mot négatif. Le ban est un territoire d’une lieue autour de la ville, soumis à l’autorité du suzerain. Il désigne rapidement le territoire de l’exclusion, de la relégation et de la marginalisation.
La « banlieue » serait donc un lieu mis au ban ; au ban de la ville, au ban de la société, au ban de la république.
De plus, le terme de banlieue s’alourdit de considérations péjoratives : depuis longtemps, la qualité de « banlieusard » est plus attribuée que revendiquée, et elle comporte une connotation de distance sociale autant que spatiale.
C’est pour cela aussi qu’en terme de réparation, la fluidité des moyens de communication entre le centre de la ville et les quartiers populaires excentrés constitue un axe fort de la politique de la ville.
Le quartier d’Orléans La Source par exemple sur lequel je travaille en qualité de travailleur social depuis presque 20 ans et dont la construction remonte aux années 1960 et qui est bâti autour d’un campus universitaire, d’un parc floral, d’une zone d’activité et d’une zone d’habitat pavillonnaire et social auxquels s’ajoutent quelques grands équipements médicaux, scolaires, culturels et sportifs ; en est un exemple caractéristique.
Si l’on ajoute l’éloignement du centre-ville situé à une bonne dizaine de kilomètres, on comprend aisément tout l’enjeu à la fois économique, politique de la construction du fameux « tram » pour désenclaver ce vaste ensemble bétonné de 25 000 habitants sans lequel Orléans ne serait pas la capitale régionale.
Aujourd’hui, on insiste sur les liens de dépendance avec le centre, notamment en matière d’emplois et d’activités.
Peu à peu, une nouvelle définition de la banlieue s’est imposée dans le langage courant, celle de territoires connaissant de graves difficultés économiques et sociales, caractérisées par l’action des politiques publiques.
À nouveau, le grand projet de ville sur le quartier de La Source qui n’a pas été accompagné par les habitants traduit bien tout l’empressement des élus à vouloir réparer des années d’abandon.
Mais on ne construit pas de la vie seulement en démolissant, il faut accompagner ces mutations, ces destructions, ces aménagements, de sens et de mots et sur cet aspect, on note un tel déficit que le fossé entre les habitants, les jeunes notamment de ces quartiers et les institutions se creusent inexorablement.
Néanmoins, il faut savoir que l’actuelle phase de misère sociale, et la clairvoyance avec laquelle on l’envisage, fait suite à une phase d’enthousiasme pour ces grands ensembles, modernes dans la période d’après guerre, qui constituent l’habitat des banlieues populaires. Au début des années 1970, habiter sur le quartier de La Source constituait « un honneur » et dans la nostalgie de nos anciens, il y faisait bon vivre…
Alors, comment expliquer cette évolution qui, depuis cinquante ans, tend vers une dégradation globale de la situation des banlieues françaises sans tomber dans les clichés et dans le misérabilisme ?
Pour ma part ; est ce la déformation professionnelle ou les histoires de vie que j’y ai nouées et que je livre sans langue de bois dans mon livre « Banlieues, de l’émeute à l’espoir » (regain de lecture), je considère les banlieues et plus particulièrement le quartier de la Source comme une richesse dans sa diversité humaine et comme un bassin de potentialité. Alors je ne comprends pas que l’on y diabolise ses habitants, ses jeunes, je ne comprends pas que toute la politique de la ville à Orléans s’élabore autour du sécuritaire et du contrôle social dont les arrêtés municipaux (couvre-feux pour les moins de treize ans, arrêtés anti-prostitution et anti-bivouac) en sont les témoignages les plus spectaculaires.
Les banlieues populaires sont à présent de plus en plus perçues comme des « zones » à l’abandon, détachées du reste de la société, comme des lieux de déperdition.
Le regard posé sur ces quartiers populaires oscille entre crainte et compassion et On compare aujourd’hui les « cités » de banlieues avec les « ghettos » américains.
Les nouveaux « experts » des problèmes urbains, relayés par les médias, diffusent et imposent une représentation des « problèmes sociaux » en terme d’inclus et d’exclus, de in et de out.
On n’écoute plus les acteurs de terrain et le secteur associatif immergé au cœur du quartier, ceux qui parcourent le bitume et travaillent inlassablement à retisser du lien social. On a confisqué la parole aux habitants et aux jeunes des quartiers et aujourd’hui on essaie de bâillonner ou de contrôler les travailleurs sociaux qui se situent à l’interface, c’est tellement plus facile de faire taire les grenouilles… Alors cette parole silencieuse, cette parole confisquée s’exprime dans la violence et on stigmatise la banlieue, et on boucle la boucle !
La banlieue serait alors plus que jamais le lieu mis au ban, le out par rapport au in.
La lutte contre la marginalisation urbaine est ainsi logiquement appréhendée à travers le prisme de la lutte contre l’exclusion. Cette mystification idéologique permet en définitive de mieux masquer la centralité de la lutte des classes et la forme concrète qu’elle prend dans la division de l’espace social et dans l’urbanisme.
Ces représentations misérabilistes dominantes ont permis de dissocier les problèmes que vivent aujourd’hui les « quartiers sensibles » de la détérioration des conditions d’existence de la classe ouvrière. Elles exacerbent le réflexe qui consiste à imputer aux caractéristiques des habitants de ces quartiers (« exclus », « marginaux », « inadaptés », « non intégrés »), la responsabilité des difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. COUPABLES !
Le verdict est tombé ;
La contrepartie de ces discours dominants sur « les banlieues » est la dépolitisation des tensions observables dans les cités populaires : on invoque le problème des cohabitations « inter-communautaires », on pointe du doigt le « racisme populaire » à l’égard des étrangers, on parle même d’un « antisémitisme des banlieues » Ce qui conduit à vouloir faire la morale au peuple pour lui apprendre à être plus tolérant et moins arriéré culturellement.
La solution à ces problèmes est à présent toute trouvée : c’est le mot d’ordre de « mixité sociale » porté en étendard des politiques publiques locales. Ce mot d’ordre est agité telle une formule magique afin d’exorciser les vieux démons de la ségrégation sociale et urbaine. Mais derrière le discours, peu d’effets ou quelques effets de manches.
Tout ce discours permet évidemment de mettre de côté les causes structurelles de la dégradation des cités populaires et des conditions d’existence de ceux qui y vivent : le chômage de masse, la précarisation des contrats de travail, la disqualification sociale des jeunes sans qualification, le blocage des salaires, la discrimination à l’embauche et au logement des enfants d’immigrés maghrébins et africains, et la réduction drastique des dépenses publiques pour la construction des logements sociaux.
Intégration et insertion : Ah, quels concepts !
Si l’insertion consiste à faire sa place parmi les autres et à côté des autres, l’intégration insiste sur cette notion essentielle qu’il s’agit de faire une place acceptée et acceptable en cohésion avec les autres, ceux qui sont dans la place, bien installés et cela n’était pas gagné. Selon moi, l’intégration nécessite que les nantis, que les sceptiques soient capables d’accepter ceux qui dérangent dans leur périmètre social, tout près de leur espace vital et cela prendra du temps plus que mon mandat de travailleur social peut-être ne m’en donnera. Il ne suffit plus d’agir seulement auprès de ceux qui sont rejetés à la marge mais aussi et surtout auprès de ceux qui se la coulent douce, là en plein centre !
Pour le moment, pour ceux qui nous dirigent, l’important est de sécuriser et d’édifier une barrière ; et pourquoi pas dérouler les barbelés pour que chacun reste surtout bien à sa place.
Dans l’imaginaire du plus grand nombre, il est une évidence que toutes les « tares » de la société (pauvreté, chômage, délinquance, immigration, violence…) semblent se concentrer aujourd’hui dans des « zones » bien délimitées : les cités populaires de banlieue, territoires censés abrités les nouvelles « classes dangereuses » qui font la hantise des classes dominantes.
La focalisation opérée par les grands médias sur la visibilité des « immigrés » dans les cités, sur leur surreprésentation qui « pose problème », contribue à penser la banlieue comme un espace « en marge de la République », constitué de « zones de non-droit », nouveaux territoires du désordre social.
La politique de « mixité sociale » vient alors à point nommer pour tenter de disperser les « immigrés » et les répartir plus « équitablement » sur l’ensemble du territoire.
C’est en faisant un détour par l’histoire du peuplement des banlieues et par l’histoire de la politique du logement social que l’on pourra comprendre comment s’est construit dans le cours du temps le problème des « cités-ghettos ».
Pour citer Jean Pierre Rosenczveig, président emblématique du tribunal pour enfant de Bobigny qui a préfacé mon ouvrage et qui appelle les éducateurs de rue dont je livre les tribulations, mes tribulations : Les fantassins de la Républiques aux mains nues.